Child’Space : Comment accepter de laisser à votre bébé la liberté et l’exploration de ses propres mouvements ?

Le centre d’hébergement d’urgence Agnodice est un centre pilote situé rue Poliveau 75005 Paris. Il a ouvert fin décembre 2021. Il accueille des femmes en fin de grossesse, ou des mères avec leur nouveau-né, idéalement jusqu’au 9e mois voire 1 an de l’enfant.
Elles sont hébergées dans des studios individuels avec leur compagnon et la fratrie du nouveau-né. Il y a 124 places ( actuellement 42 familles de 2 à 5 personnes).
Ces femmes viennent essentiellement d’Afrique de l’Ouest : Côte d’Ivoire, Sénégal, Mauritanie et Niger. Elles sont passées par les voies de la migration et elles ont, pour beaucoup d’entre elles, laissé des enfants au pays. Elles sont sans papier.

L’équipe d’accueil est pluridisciplinaire : direction administrative infirmière, auxiliaires puéricultrice, psychologue, assistante sociale, responsable d’éducation, agents d’accueil… Chaque professionnel participe activement à l’intégration de ces familles qui apprennent l’autonomie. Elles font elles-mêmes leurs cuisines dans leur studio. Elles vont chercher leur nourriture aux restos du coeur et assument le suivi médical de leurs enfants.

J’interviens, auprès de ces mères (et parfois des pères) et de leurs bébés, depuis septembre 2022 comme praticienne Child’Space.

Ma pratique Child’Space, centrée sur le bébé, a pour but de faciliter le développement moteur du bébé en lui proposant différentes variations de mouvement lui donnant ainsi une plus grande liberté.

Les bébés africains (cela peut aussi se voir avec des bébés européens, mais plus tardivement) sont mis assis dès l’âge de 3 mois. À ce stade, ils sont incapables de «sortir» seuls de cette position assise pour ramper ou faire du 4 pattes. Cette posture tenue génère une hypertonie du dos, du bassin et des membres et engendre une insécurité, liée à une peur de tomber. Ils sont donc entièrement dépendants de leur mère pour bouger.

Cette position figée les empêche d’évoluer. Bien souvent à 7 ou 8 mois, ils ne savent toujours pas se déplacer en rampant ou à 4 pattes, ni se mettre assis seul. Leur hypertonie perturbe l’enroulement de base du dos sur le ventre et son retour.
Cette mise assise dès 3 mois est une coutume traditionnelle dans l’éducation de leur enfant, aussi pas d’interdiction ni d’injonction (« faites ceci et pas cela… », de ma part. Mais plutôt, je fais ressentir aux mères, sur leur propre corps, le côté paralysant de cette position. Puis, j’invite les enfants par un toucher spécifique de tapotement et de pression (pour réguler l’hypertonie) à explorer d’autres mouvements.

La progression peut être rapide d’une séance à l’autre et s’exprime par des vocalises de joie :

« Je peux bouger tout seul à mon rythme ! Je peux m’éloigner de maman et choisir d’y revenir… »

Ces mères qui ont des parcours de vie difficile, des accouchements parfois compliqués, des enfants parfois lourdement atteints (je m’occupe d’une petite fille trisomique et d’une autre née à 24 semaines avec une jumelle décédée à 8 j) sont, pour la plupart, extrêmement attentives à leur enfant. Elles sont en attente de conseils et pratiquent assez vite les touchers spécifiques (tapotement et pression) sur leur enfant. Elles expérimentent aussi la marche ou danse en rythme en chantant, leur bébé dans les bras, ce qui a pour effet de calmer leur enfant, de le préparer à l’endormissement.
Elles sont avec leur bébé dans un moment ludique où elles peuvent se laisser aller à leurs questions, à leur émerveillement et parfois à leur désarroi face à leur responsabilité.

J’interviens de plus en plus précocement sur des bébés de 2 à 3 mois, avant cette mise forcée en position assise. L’attention de ces mères portée au développement de leur enfant leur permet de faire confiance à l’enfant et d’accepter de lui laisser la liberté et l’exploration de ses propres mouvements.

Le soutien de ces mères à travers l’attention qu’elles portent à leur bébé est, par ailleurs, relayé par les membres de l’équipe (psy, auxiliaire puéricultrice, infirmière, assistante sociale, éducatrice…).